« Acte I : Bang Bang … You hit the ground »

Les coups pleuvaient, sans cesse. Chaque moment écoulé lui semblait durer des heures, et pourtant elle ne pouvait rien faire. Elle restait là, prostrée au sol, à essuyer la colère de son mari. Sa jeunesse et sa beauté, il semblait la réduire à néant à mesure qu’il supprimait sa dignité. Il enlevait tout ce qui lui avait plu chez elle, tout ça à cause d’un trop plein de stress au travail. Enfin ça, c’était ce qu’il lui disait. C’était ce qu’il lui avait toujours dit. Il disait aussi que c’était de sa faute, qu’elle n’était pas une assez bonne épouse. Et elle, peut-être idiote, ou naïve – mais non, simplement amoureuse – elle le laissait faire ; pire, elle le croyait. Mais elle avait beau essayer, encore et encore, de le combler, rien n’arrêtait ses crises de colère. Elle avait bien remarqué que ses cris l’encourageaient, alors elle ne réagissait plus. Elle restait là, ses grands yeux vides, à le contempler alors que pour la énième fois, il écrasait sa cigarette contre sa peau. C’était bien pire que les coups, parce que les brûlures ne disparaissaient pas ; mais elle ne pouvait rien faire. Elle ne voulait rien faire. Si ça ne tenait qu’à elle, elle serait déjà partie. L’amour ne méritait pas tant de sacrifices. Mais les enfants … Non, ils aimaient trop leur père. Elle ne pouvait pas les priver de leur figure paternelle, c’était trop cruel. Elle resterait, pour les enfants. Elle subirait, encore et toujours, jusqu’à ce qu’il réussisse à effacer le moindre soupçon de joie de vivre chez elle. Pour les enfants.

Elle s’était mariée trop jeune. Elle le savait, ses parents le lui avaient assez répété. Mais elle était amoureuse, et était enceinte. C’était le parfait amour, il était tendre, aimant, attentionné. Beau, aussi. De cette beauté froide caractéristique des hommes suédois. L’homme parfait. Mais elle avait vite déchanté. Il n’avait jamais levé la main sur elle, avant. Mais il y a eu les enfants, et elle ne lui accordait plus toute l’attention qu’il méritait – c’était ce qu’il disait. Alors il avait commencé à la rendre laide, à effacer ce qui faisait d’elle quelqu’un de plaisant. Sa beauté, non, hormis les quelques bleus et brûlures, il refusait d’y toucher. Parce que c’était vrai, elle était belle. Il était fier. Mais elle était trop naïve, trop … gentille. Ca, il devait y remédier. Mais il ne lui avait jamais dit. Non, il se contentait de la battre, sans merci, de plus en plus souvent. Maintenant, il ne faisait même plus attention à ne pas la frapper à des endroits trop visibles. De toute façon, qui serait-elle allée voir ? La police ? Non, il s’était bien chargée de lui faire comprendre de c’était entièrement de sa faute, et qu’elle devrait avoir honte. Et à force, elle avait fini par le croire. Elle n’était en soi devenue que l’ombre d’elle-même, quand il était là. Il l’avait forcée à rompre tout contact avec sa famille, et son seul réconfort se trouvait avec ses enfants. Dieu comme les aimait, ses enfants.

Ce n’était qu’une séance de plus, mais elle allait tourner mal. Les enfants, que Lykke avait pourtant pris soin de distraire dans leur chambre avec un dessin animé, étaient venus voir ce qui se passait. Pourquoi leur père vociférait-il ainsi ? Mais lui, lui n’avait pas terminé sa crise de colère. Alors il attrapa la petite fille et la projeta contre le mur. Si Lykke n’avait pas réagi tout de suite, aux pleurs de l’enfant, elle se leva comme un ressort. Elle courut dans la chambre, entraînant son fils par la main, et l’y enferma, alors qu’elle récupérait une arme cachée sous le lit. Lorsqu’elle revint, elle vit son mari, enlaçant sa fille qu’il essayait de consoler. Elle flancha, un instant, mais pointa son arme, déterminée.

« B-Backa … » *

Il la fixa, longuement. Elle tremblait. Elle était terrifiée, mais il avait touché sa fille. Il avait osé toucher sa fille. Finalement, il la lâcha, se recula, mains relevées. Il tenta de dire quelque chose, avec son sourire malveillant, qui l’avait toujours faite reculer. Mais pas aujourd’hui, pas maintenant. Elle tira, en plein dans sa tête, et le sang éclaboussa les murs, souilla sa robe et les cheveux de sa fille. Elle se remit à pleurer. Lykke lâcha l’arme, et se laissa tomber à genoux, contemplant le corps inanimé de son époux. Il était beau, comme ça. Enfin calme.

* R-Recule ...

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« Acte II : Girl, you'll be a woman soon. »

Il courait, devant elle. Il était déjà à bout de souffle et il ralentissait l’allure à chaque pas. Elle, elle était plutôt en forme. Elle se contentait de marcher vite, relativement prudente à cause de ses talons aiguilles de luxe. Elle savait qu’elle le rattraperait tôt ou tard, il suffisait de le garder en vue. De toute façon, elle savait très bien où il allait se réfugier. Elle aurait peut-être due être plus discrète, mais ça n’avait plus d’importance maintenant. Il avait beau crier de tous ses poumons, personne ne le prenait au sérieux. Et puis franchement, à Stockholm, crier en russe, il fallait être idiot. Elle se fichait de ce qu’il pouvait bien dire, tout ce qui l’intéressait c’était de l’éliminer ; et ça n’allait plus tarder. Elle était reconnue, maintenant. Douée pour son travail – très douée. Notamment parce que tuer les gens, ça lui plaisait. Ca la détendait. Alors forcément, faire quelque chose que l’on aime, ça nous encourage à être bon. Elle avait appris à tuer avec n’importe quoi, de la feuille de papier aux gros calibres. Elle avait aussi appris à maîtriser certains sports de combats, tout pour entretenir sa forme, et être prête à toutes les éventualités. Mais son arme fétiche, c’était les armes à feu. Terriblement sexy, d’après elle. Elle ne se baladait jamais sans son Colt Legends in Steel Tribute Revolver. Evidemment, ce n’était certainement pas la seule arme avec laquelle elle se baladait, mais c’était sa signature. Une balle dans la tête, fabriquée main, intraçable.

Enfin, il franchit une porte. C’était chez lui, elle le savait. Se pensait-il en sécurité ? Probablement. Et bêtement. Elle rejoignit la porte quelques instants après, regarda autour d’elle, fit bien attention que personne ne la regardait, et tira un coup de feu, étouffé par un silencieux, dans le verrou. La porte s’ouvrit, sur l’homme, paniqué, qui cherchait à brûler Dieu-sait-quels papiers sur son gaz. Ca la fit sourire. Ils étaient bien bêtes, s’ils pensaient que ça suffirait. Mais ils essayaient de tous ; de prouver qu’il n’y avait plus de raison de les tuer. Elle, elle s’en fichait. On l’avait payée, alors elle le ferait. Et avec le sourire. Elle referma la porte d’un coup de talon et s’approcha de lui, mains dans les poches de son imperméable. Il était à genoux, maintenant, et suppliait. Elle ne le comprenait pas, mais elle savait bien ce qu’il était entrain de lui demander. Ca lui faisait plaisir, ça lui apportait un sentiment de supériorité dont elle ne pouvait plus se passer. Tout ça à cause de lui, son défunt mari, qui avait détruit en elle le moindre soupçon d’amour-propre. Mais ça n’avait plus d’importance, vraiment. Elle extirpa son jouet fétiche de sa poche, et le pointa contre son crâne. Il était minable, pathétique, mais c’était tellement plaisant. Elle chargea, et quelques secondes plus tard, tira. Un éclat de sang lui jaillit au visage, et elle l’ignora un instant, observant le spectacle qui s’offrait à elle : le corps sans vie retomber par terre, la mare de liquide carmin s’étaler petit à petit sur le sol de la cuisine.

Son coup de feu avait fait du bruit, elle le savait. Bientôt la police arriverait. C’était toujours comme ça, mais ils n’avaient jamais réussi à l’attraper, pour le moment. Elle sortit un mouchoir de la poche, et essuya le sang qu’elle avait sur le visage. Elle vérifia son maquillage, puis s’alluma une cigarette. Du coin de l’œil, elle aperçut une bouteille de whisky, qu’elle délogea d’un coup de pied. Le liquide s’étala par terre, approchant du corps inanimé. Son arme retournant sous le manteau, elle tira une longue bouffée sur la tige empoisonnée, s’attardant encore quelques instants sur la scène. Puis elle lança le bâton incandescent vers la flaque d’alcool, et tourna les talons, alors que le sol et le corps prenaient feu. Elle retourna d’où elle était venue, lunettes de soleil glissées sur le visage. Puis elle passa la porte de son appartement, et attrapa ses enfants presque adolescents qui se jetèrent sur elle, les enlaçant l’un, puis l’autre. Elle encaisserait le chèque dans la soirée.

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« Acte III : This is what it sounds like when doves cry. »

Elle se tenait devant la porte. Derrière, il y avait son fils, maintenant adulte, et sa copine. Elle avait longtemps réfléchi, savoir si elle devait … les arrêter, ou non. Elle avait essayé d’être raisonnable, mais elle ne pouvait pas supporter l’idée qu’il puisse aimer une autre femme. Il n’aurait dû n’y avoir qu’elle. Pendant longtemps, après tout, elle avait été la seule femme de sa vie. Et elle l’avait bercé, aimé, comme une  mère digne de ce nom. Elle avait comblé l’absence de son père – du moins c’était ce qu’elle pensait. Elle ne comprenait pas où elle avait échoué. Elle n’osait bouger d’un pouce, là, devant la porte. Elle les entendait rire ; et cela faisait grincer son cœur. Longtemps, elle avait lutté, mais maintenant ça ne lui posait plus de problème. Il était à elle. Elle posa ses doigts sur la poignée ; et elle la sentit se mouvoir. Peut-être aurait-elle dû éviter le LSD, avant de venir. Non, c’était plus supportable ; ça rendait le monde beau. Ces éclats de couleurs, elle ne pouvait plus s’en passer. Elle serra la batte de baseball entre ses doigts, et finalement tourna la poignée. Devant elle, la lumière jaillit ; et elle la vit là, étendue sur le lit. Elle ne l’avait pas encore vue. Son fils, lui, était dans la salle de bain ; elle pouvait entendre le jet d’eau. Lentement, elle referma la porte derrière elle, et la verrouilla.

Cette fille, elle lui ressemblait. C’était elle, lorsqu’elle était jeune, avant que son mari ne détruise son sourire. Enfin, elle tourna la tête ; et sembla la reconnaître. Si un instant, un sourire gêné passa sur son visage, et qu’elle releva le drap sur son corps en un geste pudique, elle sembla rapidement comprendre que quelque chose clochait. Peut-être de l’air vide qui habitait ses yeux, ou de la batte qu’elle balançait distraitement au bout de ses doigts. Puis la suédoise sourit. Elle ne s’embarrassa pas de mots, et se contenta de s’approcher, avec lenteur. L’instant d’après, la batte se fracassa contre son crâne et elle la laissa retomber par terre. Le sang sur les draps blancs, c’était une vision idyllique. Elle contemplait son corps sans vie, avec une passivité remarquable. Même morte, elle restait belle. Elle grinça des dents ; une soudaine bouffée de colère l’envahissant. Elle allait effacer sa beauté, là, maintenant. Elle glissa un poing américain sur ses doigts, et sauta sur le lit ; et elle frappa. Répétitivement, jusqu’à supprimer la moindre once de charme de son visage. Elle la massacrait, petit à petit, comme si elle n’était rien qu’une pute – et à ses yeux, elle ne méritait pas mieux. Peut-être était-elle la fille de quelqu’un, mais elle s’en fichait ; elle avait touché à son fils. Et c’était impardonnable.

Ce fut lui, qui l’arracha au corps défiguré de la brune. Elle ne se débattit qu’un temps, avant de comprendre que c’était lui. Il cria, oui, mais elle ne le comprit pas. Non, elle était bloquée sur la vue de son visage à lui, superbe ; et de sa ressemblance avec son père. Oui, c’était même plutôt douloureux. Mais elle l’avait aimé, et cette affection, elle la transposait souvent à son fils. L’arme en fer tomba au sol, et elle releva sa main ensanglantée vers lui, caressant sa joue avec lenteur. Puis il s’effondra contre elle, en pleurs, et elle se laissa glisser au sol avec lui, le berçant doucement. Elle caressait ses cheveux, les maculant de sang sans y faire attention ; murmurant des mots doux à son oreille. Elle le serra, presque désespérément, et il la laissa faire. Même si tous ses sens étaient faussés, elle pouvait encore percevoir son odeur ; qu’elle aimait tant. Elle embrassa son crâne, et posa son front contre le sien, les yeux fermés.

« Jag är ledsen ... Jag är ledsen ... Du är min. » *

* Je suis désolée ... Je suis désolée ... Tu es à moi.

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