Tu sais, la vie c'est pas si compliqué. Tu nais, tu vis, tu meurs. Trois verbes, six mots, dix-huit lettres. Rien de bien sorcier. Et en général, le premier et le dernier vont même plutôt vite, et souvent indépendant de ta volonté. Donc, tout ce dont t'as à te soucier, c'est du truc du milieu. Vivre. Déjà, beaucoup de gens se contentent de survivre, et profite pas de leur vie. Ma mère elle était comme ça. Elle survivait. Mais je crois pas qu'elle ai vécut. Elle m'a raconté une fois, sa vie. Celle d'une jeune femme russe, frappée par un père qui aurait voulu un fils, vendue au plus offrant à sa majorité (enfin ils appelaient ça 'mariage' mais personne n'y croyait), prostituée par son mari qui l'offrait à tout ses copains contre un peu d'argent. Elle est tombée enceinte de moi, alors qu'elle ne savait même pas lequel de tout les hommes qui avaient posés les mains sur elle pouvait bien être le père. Je suis sûre qu'elle le sait, en vrai. Quand elle me regarde pendant trop longtemps, je vois sa lèvre qui tremble et elle baisse les yeux. Je suis sûre qu'elle voit mon père en moi, maintenant que j'ai grandis. Qu'elle reconnaît en moi l'un de ceux qui l'ont touchée un peu trop méchamment. Peut-être même que c'était un violeur, qu'il l'a prise contre son gré, qu'il l'a forcée et que du coup, elle se souvient encore de son visage, comme une espèce de délire sadomasochiste. On retient toujours plus facilement les caractéristiques de son bourreau que celles des gens qu'on aiment. Pour ça que c'est toujours plus facile de se venger que de s'accrocher aux gens. Ah l'humain est si ... Bizarre. Bref. Je n'ai jamais su qui était mon père, donc. Ma mère, en apprenant qu'elle était enceinte et une fois penchée au dessus des toilettes à rendre tout son petit déjeuner, à décider de s'enfuir en plein milieu de la nuit pour 'protéger son bébé'. Je crois parfois qu'elle voulait juste se barrer et que j'étais la bonne excuse. Mais on ne s'en plaindra pas. Si elle était restée, je serai sûrement morte sans même avoir pointé le bout de mon nez. Donc. Elle s'est enfuie, dans le froid de Moscou, enceinte de quatre mois, sans savoir où aller. Sa famille l'aurait rejeté immédiatement. Elle n'avait pas d'amis. Et j'imagine que retourner près de l'un des hommes qui payait pour sa compagnie n'aurait pas été une très bonne idée. Alors, elle a marché, elle a mendié, elle a supplié, elle a sûrement dû s'allonger aussi, mais elle est resté à la rue. On allait pas prendre en charge une femme enceinte, sans rien ni personne, ça aurait été mal vu. Elle a accouché dans la rue, et quand je suis née, j'étais sur une couverture crasseuse, dans un hangar gelé, entouré de putes qui essayaient de nous sauver ma mère et moi. On sait toujours pas comment elles ont réussis. Ce hangar aurait dû être fermé, rien que parce que l'air qu'on respirait nous faisait mourir à vingt ans, maximum. Mais ça a quand même été mon premier lieu de vie. J'étais un bébé assez spécial, vu que je criais presque pas, je mangeais quand je pouvais. Les premiers mois, ma mère était tout le temps avec moi. Après, elle me laissait aux soins de ses 'amies' pendant qu'elle allait tapiner pour ramener de l'argent. Pas glorieux. Je ne me souviens d'aucune des femmes moches, et peintes comme des voitures volées, qui ont pu me garder. Je respecte les prostituées, tention, mais là on était même pas dans les bas quartiers. On était dans les bas quartiers, des bas quartiers. Dans le genre d'endroit où même le temps a honte d'aller et nous fout la paix. Les journées passaient lentement. Bien sur, je ne me souviens de rien. Tout ce temps là, ça reste un truc froid et noir au fond de ma mémoire. Quand je suis devenue une petite fille, je me souviens qu'on ne me surveillait plus trop. J'ai des souvenirs de moi entrain de courir dans des couloirs sombres, de grimper en haut d'armoires, de me glisser sous des lits crasseux, d'écouter des bruits bizarres qui à mes oreilles résonnaient d'une façon triste et déprimante. Plus tard j'ai compris que les bruits étaient des cris, n'oublions pas le travail de ma mère, mais j'ai aussi compris que cette tristesse résidaient surtout dans le fait qu'elle n'avait jamais rêvé d'être ainsi. Que c'était venu tout seul. Elle n'aimait pas sa vie. Mais comme je l'ai dis ; elle ne faisait que survivre. Alors moi aussi, je survivais. Mais j'étais jeune, inconsciente, et je voulais m'amuser. Alors je me donnais l'impression de vivre pour du vrai, en jouant, en riant, en m'amusant plus que ce n'était permis dans un endroit comme le hangar. Et c'était plutôt sympa, en soi. Pour le temps que ça a duré. Ce qui fait plus ou moins quinze ans, quand même. Quinze ans de vie tranquille, libre, de rire, de secret, de froid, de cris, de tristesse, de course folle. Mais j'en garde un assez bon souvenir, même si c'est encore flou. Mais il faut bien un mais, et l'année de mes quinze ans, c'est là que ça à commencer à déraper. Entre les quinze et les seize, pour être précis. J'étais tranquille, vraiment, bien installée dans mon coin, un bouquin sur les genoux, quand les cris ont commencés. Pas des cris habituels, de ceux qu'on faisait quand on prenait notre pied. A force, j'arrivais à les distinguer. Non, là c'étaient plutôt ... De la douleur, de toute évidence. Je ne me souviens pas vraiment de la suite des événements. Je crois que je me suis levée, à un moment. J'entendais plusieurs voix, et ça m'inquiétait. J'ai couru quand j'ai reconnu la voix de ma mère au milieu des autres. Quand j'ai traversé la pièce, je crois que mon cœur a battu fort, pour une minute. Plus fort que jamais. Malgré tout, j'aime ma mère, vous y trompez pas. Mais là ... Quand je suis arrivé, y avait une espèce de descente. Pas de flic, mais ils étaient tous en costumes noirs, tatoués ou pas, je me souviens d'un avec l'une de ces grosses boucles d'oreilles qui écartent le lobe. Ils ne payaient pas eux, ils prenaient. Ça puait le sexe, le sang, la colère, les larmes. J'ai couru, ils ont essayés de m'attraper et je me débattais. Je voyais ma mère au loin, entrain de se débattre et j'ai pleuré pour elle. Je voulais la rejoindre. Mais je n'ai jamais pu. Un homme m'a attrapé par derrière et m'a retiré ma virginité sans que je ne puisse rien faire. Plus tard, j'ai été transportée, avec d'autres filles plus jeunes. Je n'ai pas revu ma mère, ce jour là, ni aucun jour pendant les sept ans qui ont suivies. L'homme qui m'avait 'enlevée' s'appelait Xenos. Un russe mystérieux, qui venait d'une contrée lointaine et froide. Il avait un accent étrange, mais il était presque vraiment sexy. J'ai vécut avec lui pendant sept ans, d'une façon ... Étrange. Ça a commencé comme un kidnapping, des viols à répétition. J'étais enfermé chez lui et je devais le laisser faire. Je n'avais pas trop le choix. Je ne savais pas ce qu'était devenu toutes les filles qui avaient été emmenées avec moi. Je ne l'ai jamais su. Personne n'a jamais voulu me le dire. J'ai eu quelques idées, mais je n'ai jamais pu être sûr. Jamais pu les revoir. Et Xenos ne m'a bien sur jamais répondu. Non, lui il préférait m'attacher et me baiser plutôt que de répondre à mes questions. Et même si au début c'était vraiment douloureux, humiliant, affreux ... C'est devenu une habitude. Puis plus agréable. J'étais tellement ... Désespérée dans cet enfer, que j'ai finis par me faire une raison, par rechercher la moindre chose qui pourrait me faire accepter tout ça. Et j'ai finis par sombrer avec lui. Sept ans plus tard, j'avais changé. Vraiment changé. Il m'a appris beaucoup de choses, dont j'évite de parler en général. Autant les bonnes que les mauvaises. Sa pire idée a été de faire de moi une soumise obéissante, bien que j'ai plutôt tendance à n'obéir complètement qu'à lui. Il y a un an, il m'a abandonné. Du jour au lendemain, il a disparut, envolé dans la nature, et je n'ai plus eu de nouvelles. J'ai retrouvé ma liberté, une liberté à laquelle je ne pensais même plus. De laquelle je ne savais que faire. J'ai vécut pour lui pendant sept ans. Cette dernière année ... J'ai eu du mal, beaucoup de mal, à redevenir autonome. J'ai été voir ma mère, un peu. J'essaie d'y aller de temps en temps, mais ça m'épuise. Je reçois un chèque tout les mois, de Xenos, mais rien d'autre. Juste de quoi vivre, payer mon loyer. Et sinon ... J'apprends à revivre. A voir ailleurs. Et j'étouffe dans l’œuf tout espoir de le revoir un jour. J'oublie tout ça. Parce qu'oublier aide à avancer.