Je suis né quelques jours avant l’été alors que le soleil était déjà plus présent dans le ciel et que les températures semblaient plus acceptables. Sans doute par couardise, j’avais préféré attendre que la température extérieure soit à peu près égale à celle à l’intérieur de ma mère pour m’extirper de mon cocon douillet. Faut dire que j’ai jamais été un grand aventurier jusqu’ici, je n’étais pas du genre à vagabonder à droite à gauche dès que j’ai pu être en âge de le faire. Non, j’étais plutôt le petit garçon timide qui restait dans les jupes de sa mère, à observer d’un drôle d’air tous ces autres gamins qui pataugeaient joyeusement dans la boue.

C’est sans doute parce que je pressentais que ma génitrice était une vraie maman poule et que je ne souhaitais pas l’inquiéter inutilement. Je suis fils unique. Et maman était la seule personne de ma vie qui ait une réelle importance car je n’ai jamais connu mon père. A vrai dire, elle ne m’a jamais vraiment parlé de lui et elle répondait sèchement à chaque question que je lui posais. Alors j’ai tout simplement supposé qu’il était mort. En fait, les seules choses que je savais à son propos, c'était qu'il avait l'habitude de manger des tartes aux myrtilles avec un verre de bière, même si tout le monde trouvait cette habitude particulièrement immonde.

Si on pouvait résumer ma vie, il n’y aurait pas grand-chose d’extraordinaire à dire. Je ne suis pas un orphelin au passé tragique, je ne me suis jamais donné contre ma volonté, je n’ai pas pris la moindre drogue et j’ai toujours été calme. Je déteste d’ailleurs transgresser les règles, j’ai oublié pourquoi mais c’est sans doute que je ne peux supporter de décevoir ma mère et que j’ai donc appris à être un garçon très sage et respectueux.
Ma vie a toujours été aussi banale et paisible que la tienne, cher lecteur. A part mon déménagement de Séville à Kiev dans mes jeunes années, je n’ai jamais rien vécu d’extraordinaire. Et la seule flamme qui m’ait jamais habitée, c’est la photographie. Observer le monde derrière mon objectif, le capturer d’un cliquetis et lui donner une nouvelle dimension, c’est ce que j’adore. Je ne suis sans doute pas le plus incroyable des photographes mais je considère que je ne me débrouille pas mal pour autant. Et après avoir péniblement obtenu mon baccalauréat, j’ai passé quelques années dans une école de photographie à Kiev. Je suis maintenant photographe freelance et j’interviens parfois comme intervenant dans des écoles où on a besoin de mes talents. Mais ce n’est certainement pas aussi excitant que le job de Peter Parker. Moi, je n’ai aucun Spiderman à photographier, seulement des cadavres, des scènes de crime, des politiciens ou des sujets sans importance particulière à mes yeux. Mais faut bien mettre du beurre dans les épinards, comme on dit !

Il y a quelques mois pourtant, s’est déroulé quelque chose d’inhabituel. J’entrais dans la vingtaine et je me considérais maintenant assez grand afin de pouvoir supporter la vérité, je voulais en savoir plus à propos de mon père. Après m’être torturé l’esprit pour trouver un moyen d’exprimer mon besoin à ma génitrice, je me suis finalement décidé à être honnête. Pourquoi ne pas lui dire directement les choses ? Elle comprendrait certainement et on pourrait sans doute avoir une conversation entre adultes. Grossière erreur… Dès mes premières paroles, elle entra dans une colère noire et refusa de me livrer le moindre détail. Agacé d’être traité comme un enfant, je laissais le ton monter entre nous deux et, me surpris à la haïr lorsqu’elle me révéla qu’il était vivant. Moi qui avais toujours rêvé d’avoir un père. J’aurais voulu avoir de ses nouvelles. Pour qui se prenait-elle ? Comment avait-elle osé me cacher ça depuis tout ce temps ? Je me sentais trahi… J’avais toujours fait preuve d’une confiance aveugle à son égard et voilà qu’elle me mentait depuis tout ce temps !!!
Sur un coup de tête, j’attrapais mon sac, mes affaires et je m’en allais pour partir à sa recherche. Moi, Jovan Lekohart, photographe timide et peureux, j’avais décidé que c’était à mon tour de créer mon aventure. Que j’avais le droit d’être un héros tout comme ces orphelins brimés ! Et malgré ma terreur de l’inconnu, j’étais déterminé à retrouver mon géniteur, à découvrir toute la vérité à propos de leur passé et à apprendre à le connaître.

Mais voilà… Comment le retrouver alors que j'avais si peu d'informations à son sujet ? Chercher quelqu'un lorsqu'on ne sait que quelques détails à son sujet comme ce porte-clef offert par maman en forme de demi-cœur qu'il avait toujours sur lui, sa taille immense ou le fait qu'il habitait Moscou, ce n'était pas chose aisée !
Ces questions, je ne me les posais qu’une fois avoir déposé mes valises dans la ville de mon père. Ville gigantesque, effrayante, imposante où je me sentais aussi démuni qu’une fourmi solitaire...