Le début de ma vie a été terriblement banal.  Un père pharmacien, une mère femme au foyer, je suis fille unique et ma mère a eu tendance à me couver un peu trop.  Contrairement aux autres enfants, je n’ai pas été inscrite dans une crèche et j’avais cinq ans quand j’ai fait mes premiers pas à l’école.  Mes parents ne trouvaient pas utile que je sorte du cocon de la maison plus tôt.  Du coup ça n’a pas été facile pour moi de m’intégrer.  Les enfants sont cruels, c’est connu, et ils avaient une fâcheuse tendance à se moquer de moi.  J’avais presque une tête de plus que les autres, j’étais toujours en jean et en sous-pull, ma mère me coupait les cheveux elle-même dans un style garçonne et pour compléter ce tableau peu flatteur, je portais d’horribles lunette en écaille à cause de ma myopie.  Autant vous dire que je rentrais souvent en pleurant à la maison et que ça a duré pas mal d’années.

Pourtant je ne détestais pas aller à l’école, j’aurais seulement préféré y être seule, avoir la maîtresse pour moi toute seule et ne pas avoir à subir les moqueries des autres pendant la récréation.  J’avais de bons résultats, j’étais la petite fille toujours installée à l’avant de la classe et forcément ça, ça n’était pas très populaire !  Bref, je me sentais différente des autres, je n’étais pas bien du tout dans ma peau et j’aurais vraiment aimé être quelqu’un d’autre.  

Heureusement, j’ai grandit et tout a changé.  A douze ans, j’ai décrété que je voulais me laisser pousser les cheveux et interdit à ma mère de continuer de les couper.  C’était la toute première phase d’une transformation qui allait s’opérer sur plusieurs années et qui allait porter ses fruits.  Mes formes ont commencé à apparaître, à seize ans je troquais les lunettes contre des lentilles de contact et commençais doucement à me maquiller.  Je reprenais peu à peu confiance en moi, j’aimais ce que j’étais en train de devenir et ça m’a ouverte aux autres.  Enfin j’avais des amis, je sortais avec eux, les garçons commençaient à me regarder avec de plus en plus d’insistance.  Je n’étais plus le vilain petit canard, je devenais moi.

A dix huit ans, je suis entrée à l’université.  C’est là que j’ai fait la connaissance de celui qui allait devenir mon mari : Malcolm.  Tout comme moi il étudiait la bio-chimie et nous étions dans la même classe.  La première année on s’est rapprochés, la seconde on est sortis ensemble, en troisième année on se fiançait officiellement pour se marier l’été où nous avons obtenu notre diplôme.  Mes parents étaient ravis, ils voyaient en Malcolm un beau parti, un garçon sérieux et stable qui saurait prendre soin de moi financièrement parlant.  Sauf que moi, je ne voulais pas faire comme ma mère et me contenter de rester à la maison pour élever des enfants.  Je voulais travailler et j’ai d’ailleurs trouvé très vite un job dans un laboratoire.  Malcolm, au début simplement réticent, a fini par ne plus supporter de me voir ramener un salaire équivalent au sien.  Il critiquait tout ce que je faisais, la manière dont je m’habillais, les gens que je fréquentais…  Sa jalousie est très vite devenue infernale.

On était mariés depuis huit mois quand il a commencé à me frapper.  Une bousculade, puis une gifle de temps en temps, au début c’était gérable, je ne m’en faisais pas trop, je me disais que c’était une mauvaise passe.  Mais ça n’a fait qu’empirer.  Les gifles sont devenues des coups de poing, j’ai commencé à avoir des hématomes partout et à ne plus savoir quoi dire à mes collègues et à mes parents.  Pour ne rien arranger, la société où mon mari travaillait a mis la clé sous la porte et il s’est retrouvé au chômage alors que la crise frappait de plus en plus de foyers.  Dépité il a commencé à boire, il avait honte que ça soit sa femme qui fasse vivre le ménage.  J’avais beau lui dire que c’était temporaire, qu’il allait retrouver un job, il devenait complètement fou et sa violence ne cessait de grandir.

A vingt cinq ans, j’étais une femme battue qui avait peur de rentrer chez elle et qui était terrifiée par son propre mari.  L’amour que j’avais éprouvé pour lui avait totalement disparu pour être remplacé par de l’amertume et de la haine.  Je prenais la pilule en cachette pour ne pas tomber enceinte de celui que je voyais à présent comme un monstre.  Divorcer ?  J’avais bien trop peur pour ça… Il m’avait promis de me tuer si jamais j’osais demander le divorce.  Alors j’encaissais.  Je n’avais plus vraiment d’espoir de me sortir un jour de cette vie, j’en venais à espérer que Malcolm meure, d’une façon ou d’une autre.  Horrible n’est-ce pas ?  Rien en comparaison de la suite.

Il a trouvé les pilules… Il a compris que je les prenais à son insu pour ne pas avoir d’enfant et ça l’a rendu fou de rage.  Quand je suis rentrée ce jour là, j’ai bien cru que je vivais mes dernières heures.  Je me suis prise des volées, j’essayais de parer les coups avec mes bras mais c’était peine perdue, il était bien plus fort que moi.  Je me suis retrouvée allongée sur le sol, entre le canapé et la table basse du salon, Malcolm était sur moi et m’étranglait.  Dans ces moments là, votre instinct de survie se manifeste dans l’énergie du désespoir alors j’ai cherché à attraper quelque chose, n’importe quoi… Ma main s’est refermée sur une statuette qui était sur la petite table et je l’ai abattue de toutes mes forces sur le crâne de mon mari qui s’est écroulé sur moi…

Mort sur le coup… J’avais frappé au niveau de la tempe, ça avait été le coup fatal.  Je voyais cet homme que je haïssais définitivement hors d’état de nuire, mais je voyais surtout les conséquences de cette délivrance.  Je l’avais tué… Et en Angleterre comme dans beaucoup de pays, les femmes battues ne sont pas forcément soutenues, d’autant plus que je n’avais jamais déposé de plainte contre lui ou parlé de mon calvaire autour de moi.  J’étais persuadée que j’allais finir mes jours en prison, alors j’ai décidé de m’enfuir.  Pendant que je remplissais un sac à la hâte, je réfléchissais à l’endroit où je pourrais me réfugier et j’ai finalement décidé de me rendre en Russie.  C’est le pays d’origine de ma mère.  Elle est née en Angleterre, mais ses parents étaient des émigrants russes.  Du coup, je connais la langue, elle a tenu à me l’enseigner.  Personne ne me chercherait là-bas.

Ca va faire à présent un an que je suis à Moscow.  Trouver un job n’a pas été simple et autant dire que vouloir travailler dans ma branche était chimérique.  J’ai pris ce que j’ai trouvé, le principal était d’avoir un salaire pour survivre.  Après quelques mois de recherches, je suis tombée sur une annonce, un club qui recherchait une serveuse.  Je me suis présentée au « Doggy Klub » pour décrocher le poste.  J’avoue qu’au début, j’ai failli faire demi-tour quand j’ai vu quel genre d’établissement c’était…  Mais j’avais un besoin urgent de trouver un travail, je ne pouvais pas faire la fine bouche.  Ca fait maintenant six mois que j’y travaille, j’ai pris mes marques et je commence à me dire que je vais enfin pouvoir envisager un réel nouveau départ dans ma vie.